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L’intelligence artificielle, quelle perspective ?

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La science et la technique sortent de leur anonymat lorsqu’elles frappent l’imaginaire. Au moment où le champion du monde de jeu de go a subi quatre défaites sur cinq parties face à une machine, tous les fantasmes sur les relations entre l’homme et la machine ont ressurgi avec force.

L’alliance entre ces deux mots « intelligence » et « artificielle » est provocante. L’intelligence étant le propre de l’homme, comment imaginer que des machines puissent en être dotées sans nous interroger sur les conséquences pour l’homme ? La forte probabilité de voir des machines devenues autonomes, capables de surpasser l’homme par leur rationalité inflexible et leur vitesse de calcul infinie, nous projette dans un monde incertain. Si cette perspective met crûment en lumière la fragilité humaine dans ce qui fait son essence même, elle ouvre aussi de formidables perspectives de dépassement de nos limites.

L’intelligence artificielle apparaît plus que jamais dans l’opinion comme un sujet ardu à comprendre et empli de menaces. Ce qui change aujourd’hui, c’est que ce débat déjà ancien suscité par les rapports entre la machine et l’homme, la créature et le concepteur, est passé du champ théorique ou romanesque au domaine de la réalité opérationnelle.

Un vieux fantasme

L’idée d’intelligence artificielle est ancienne. Doter les machines d’une capacité à dépasser les fonctions que lui ont attribuées leurs créateurs est une ambition constante depuis, au moins, l’automate de Vaucanson au XVIIIe siècle. L’intelligence artificielle a connu un essor nouveau avec le développement de l’informatique dès les années 1950. Les pères fondateurs de cette discipline, réunis lors de la conférence de Darmouth en 1956, sont notamment Herbert Simon, Marvin Minsky, John McCarthy. Dans le sillage des travaux financés par le Département de la défense des États-Unis et son agence la DARPA, dont est issu Internet, les projets de recherche sont nombreux et, déjà, les ambitions comme les inquiétudes sont fortes. Mais, rapidement, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances, les machines ne sont pas assez puissantes, les travaux sur la reconnaissance des formes et sur le langage ne sont qu’à leur balbutiement et l’intelligence artificielle, qui dépend de nombreuses disciplines, perd de son attractivité.

Ce qui change aujourd’hui, c’est que ce débat déjà ancien suscité par les rapports entre la machine et l’homme est passé du champ théorique ou romanesque au domaine de la réalité opérationnelle.

Toutefois les recherches continuent et après une nouvelle tentative dans les années 1980, ce n’est que depuis quelques années que l’intelligence artificielle, et les sciences cognitives, retrouvent toute leur dynamique. Le contexte a en effet radicalement changé. Dans une société qui en quelques années a appris à gérer des informations massives et en a démocratisé l’usage, l’intelligence artificielle, dont l’ensemble des composants techniques et cognitifs ont progressé en bénéficiant des progrès généraux de l’industrie de l’information, devient une pièce essentielle du futur immédiat, quittant définitivement le champ de la science-fiction.

Du rêve à la réalité

Une utopie ancienne apparaît désormais à notre portée : réaliser de façon industrielle une machine capable d’interpréter les données de son environnement pour prendre les décisions les plus judicieuses répondant à des situations qui n’ont pas été programmées, et de progresser par auto-apprentissage. En quelques années, les techniques d’apprentissage profond, ou « deep learning », sont parvenues à permettre aux machines d’apprendre elles-mêmes, sans supervision par l’homme. Les champs d’application immédiats sont la reconnaissance des images ou des sons. Or la maîtrise de ces fonctions de base permet d’étendre largement le spectre des fonctionnalités offertes, accentuant la vitesse de diffusion.

Diverses par leurs formes et leurs fonctions, les applications de l’intelligence artificielle se multiplient. Les applications d’IA peuvent s’implanter dans des robots, anthropomorphiques ou non. Les vidéos diffusées par Boston Dynamics sur ses robots quadrupèdes illustrent de façon troublante le degré actuel de maturité de ces machines. Mais ce sont des machines dédiées invisibles, des programmes, comme Watson d’IBM ou AlphaGo de Google qui éclairent la capacité de ces outils à rassembler des informations pour décider seuls de l’action la plus pertinente, déplacer une pièce ou proposer une thérapie en faisant mieux que les humains qui les ont conçues.

À l’aube d’une révolution ?

Aussi sommes-nous, simplement, face à une nouvelle révolution industrielle, comme celles qui ont marqué la progression des capacités humaines depuis le milieu du XVIIIe siècle avec la machine à vapeur, ou sommes-nous confrontés à une véritable menace de perte de contrôle de l’homme sur les machines ? La fascination suscitée par la puissance des machines et leurs capacités que l’on pressent infinies, ouvrant un potentiel d’usages nouveaux inimaginables, se confronte à l’angoisse d’un monde dominé par les machines où l’homme pourrait se retrouver asservi. Cette préoccupation n’est pas neuve. Chaque étape de l’évolution socio-technique de l’humanité soulève les mêmes questions, les mêmes doutes. Mais jusqu’alors il ne s’agissait que de rivaliser dans l’exercice de la puissance musculaire, la machine devenant prothèse et restant auxiliaire. Cette révolution du XXIe siècle touche l’homme, sa conscience, sa capacité de création, son éthique. Les enjeux se déplacent de la sphère physique et matérielle vers la sphère cérébrale, intellectuelle et in fine vers la conscience. Mais le vrai danger ne proviendra pas des machines que nous avons créées, mais des hommes eux-mêmes qui auront, comme à chaque étape, la tentation d’utiliser ces machines pour renforcer leur soif de pouvoir et de richesse. Ce ne sera pas les robots et les programmes qu’il faudra alors juger mais leurs concepteurs.


Quelques mots sur Jean-Pierre Corniou

Jean- Pierre Corniou à travers son engagement professionnel et social, analyse et agit pour la transformation de la société grâce aux technologies de l’information, de la communication et de la connaissance. CIO pendant 16 ans, président du Cigref pendant six ans, professeur, auteur et consultant, Jean-Pierre Corniou est un témoin et acteur passionné de la transformation de la société numérique.

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